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Auteur Message
   Trier par date décroissante
jhc
France
Posté le:
11/2/2004 12:14
Sujet du message:
histoire d'une lettre
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Fallait-il que je reçoive de tes nouvelles après quarante années de silence ? Ta lettre m’est parvenue par hasard grâce à ton cousin Hamid que je connaissais depuis qu’il s’est installé en France. En parlant de notre beau pays nous en étions arrivés à évoquer des souvenirs de là-bas.
Et c’est ainsi que j’ai pu retrouver ta trace et toi mon adresse. Quelle chance mais aussi quelle joie de te lire, mon ami, mais aussi quelle tristesse d’apprendre toutes ces nouvelles ! Moi aussi j’ai vieilli et mes enfants qui ont grandi paisiblement me rappellent de temps en temps que le passé fait toujours parti de notre vie. Mon passé, mon enfance c’est toi en quelque sorte, comme tu me l’écris ! Nous avons grandi ensemble dans l’insouciance et l’innocence de notre âge au milieu d’une guerre qui n’était pas la nôtre et qui voulait nous séparer.
Je te revois encore, accroché sur les grilles du port, quand le bateau est parti. Je t’avais cherché partout et c’est ma mère, Dieu ait son âme, qui était venue me dire que tu étais là à me faire des signes. Le soleil était au rendez-vous et le seul nuage dans le ciel était la fumée du bateau qui allait nous emporter définitivement de l’autre côté de la mer !
“Je t’écrirai, Mouloud !” Voilà la phrase que je te hurlais, collé contre le bastingage et coincé entre des adultes qui ne cessaient de pleurer en agitant des bras en guise d’adieu à une terre qu’ils venaient de perdre. On aurait pu croire qu’ils faisaient des saluts à un familier mais dans leur coeur ils savaient qu’il n’y avait plus personne à qui dire au revoir ! C’était le premier départ, la fin d’une vie avant l’inconnu !
Et puis le bateau s’en est allé. Mètre par mètre, il reculait lentement comme si il voulait laisser encore un peu de temps pour s’imprégner une dernière fois de ce merveilleux paysage que l’on fixait les yeux humides et le coeur serré. Longtemps je t’ai regardé et puis tu es devenu une petite tâche perdue dans l’ombre du quai qui disparaissait ! De toi, c’est la dernière image dont je me souvienne, un petit garçon en short et chemisette jaune qui s’agitait comme un diable. Tu devais pleurer aussi puisque j’avais des larmes qui me coulaient mais je savais que personne ne viendrait sécher les tiennes : ta mère au village et ton père fraîchement enterré, assassiné par les siens pour avoir osé dire un mot contre la cause.
Mais tu es venu, tu es venu avec moi jusqu’au bout de ce quai qu’il t’était interdit de franchir. Mouloud mon ami, mon ami d’enfance, de cette enfance qui me harcèle et que j’ai perdue un matin de juillet, tu me manques !
Nous étions les rois du village, jamais l’un sans l’autre, comme les deux doigts de la main. De vrais jumeaux. Le cow boy et l’indien ! Des inséparables ! Te souviens-tu ? Notre première cigarette, subtilisée à un militaire endormi et fumée derrière une Jeep ? Notre première bagarre pour les beaux yeux de Yasmina, la fille où nous allions chaparder quelques dattes succulentes ? Et ce quatorze juillet où nous nous sommes faufilés derrière la garnison qui défilait dans la rue principale, en faisant fièrement le salut militaire ?
Tu m’écris que tout a changé et que je ne reconnaîtrais plus mon joli petit village perché à flanc de montagne : l’église est en ruine depuis des décennies, la caserne où nous allions taquiner les soldats sert d’entrepôt et de notre école, il ne reste qu’une pièce qui sert de salle de réunion pour le conseil des vieux chaouches !
Et notre maison ? Tu ne m’en parles pas ! Pourquoi ? Est-elle aussi belle qu’avant ? Comment est ma chambre où nous jouions souvent aux petites voitures ? Je me souviens de la couleur de ses murs, un peu jaune avec une frise en mosaïque. Et le jardin qui nous servait de repère et de cache lorsque nous faisions notre guerre à nous ?
Qu’est devenu le grand eucalyptus qui bordait le chemin du cimetière, sur lequel nous avions tatoué nos prénoms ? Te rappelles-tu cette cigogne blessée que nous avions recueillie puis soignée pendant des semaines et qui un jour s’est envolée guérie vers son destin ?
Tant d’autres souvenirs s’entrechoquent dans ma tête, mon ami, que je n’arrive pas à choisir ! Je les garde alors, cachés dans mon coeur comme un livre sacré que je lirai un jour à haute voix à mes petits enfants..
Toi aussi tu viens de perdre ta maman. Elle a été massacrée avec les habitants du village à coup de hache par une armée de fanatiques en djellaba arborant des barbes d’ayatollahs. Quelle honte ! Tu revis maintenant cette haine que j’ai connue il y a bien longtemps et que je ne comprenais pas ! J’imagine mal que Messaouda soit morte. J’aimais beaucoup ta mère car elle me parlait et m’aimait comme son propre fils, sans différence et je n’oublierai jamais ses yeux verts pleins de bonté qui me réchauffaient le coeur quand j’étais triste ! L’histoire est vraiment un perpétuel recommencement !
Alors, nous voilà donc orphelins quelque part puisque mon père nous a quittés, aussi. Nos anges gardiens s’en sont allés, ils se sont envolés définitivement en nous laissant le plus bel héritage qu’on puisse faire : le souvenir.
Mais il nous reste le plus important, notre famille à qui il nous faudra raconter et expliquer notre passé et notre vie pour qu’elle les perpétue. Tes filles te remplissent de joie et je lis que tu as des petits-enfants. Comme moi, tu es comblé et je sais maintenant que dans la vie de nos enfants, il y aura un peu de notre éternité et de celle de nos parents et qu’ils se souviendront de nos souvenirs.
Mouloud mon ami, même si je n’imagine plus ton visage aujourd’hui, je suis persuadé que je te reconnaîtrais si d’aventure nos chemins devaient se recroiser un jour car je reste convaincu que tu as le même regard et le même coeur que ceux de nos dix ans. Peut-être qu’un jour je reviendrai et tu ne seras pas sur le quai à m’attendre, mais qu’importe, tu sauras, au moment même où je foulerai à nouveau notre terre, que le monde aura changé et que des souvenirs inaltérables empliront nos larmes d’un bonheur indicible.

Mouloud mon ami, mon frère, à bientôt peut-être. Inch Allah !



 

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